Ce solo est créé et interprété par Anne Lopez à partir d’une fiction tirée du réel. La structure de la pièce se joue à travers le cheminement d’un personnage troublant qui s’emballe, se démultiplie et se laisse traverser par les fulgurances de son corps. Il visite l’espace et découvre en direct qu’il doit cohabiter avec un groupe de rock Suprematic venant faire brutalement irruption. Ce personnage se transforme pour laisser apparaître l’interprète de ce solo. Par des transformations surréalistes et burlesques Anne Lopez s’éloigne d’elle-même.
Elle raconte droit dans les yeux ce qui la fait danser; la question de son geste, de son rapport à l’autre, la nature de sa physicalité, la densité de son énergie pour la donner au spectateur dans une frontalité directe. Ici, la musique fait alors fonction de réalité, ramène la danseuse à elle-même, à son histoire.
L’écriture chorégraphique est une mise en mouvement du souvenir sur le modèle de l’association libre qui place l’interprète à des endroits qui lui échappent. Le rapport danse musique est un partage d’espace et de temps, où chacun dispose de son autonomie radicale.Réduire l’écart entre public et privé, c’est réduire l’écart entre regardeur et regardé.
Ce solo s’écrit Face à vous.
Au festival d’Uzès, les chorégraphes se déchaînent
"72 heures chrono" : le titre de la dixième édition du festival Uzès Danse sonne comme un cri de guerre. Marathoniens du spectacle vivant, à l'attaque. Du muscle, car le programme n'en manque pas. Est-ce de n'avoir pu présenter, faute de soutien financier, le plateau dont ils rêvaient (rien que des femmes nommées Pina Bausch, Trisha Brown, Carolyn Carlson...) que les directeurs Didier Michel et Marie Caër ont sélectionné des artistes peu connus remontés à bloc ? Le résultat en tout cas se révèle stimulant. Dans son concert dansé rock Face à vous, Anne Lopez se jette à l'assaut d'une musique qui peut vous enterrer en deux riffs de guitare. Sur le plateau, trois musiciens (un guitariste et chanteur, un bassiste et un batteur) du groupe Suprematic poussent les manettes à fond. Il faut résister. Plus encore, tailler à la hache une ligne supplémentaire à la partition. Anne Lopez n'hésite pas : elle se déchaîne, passe les bornes, se moque de l'esthétisme. Son exténuation prend un goût mélangé de victoire et de défaite. Sa détermination à refuser que son solo ressemble à un énième cliché rock sympathique signe sa singularité. Face à vous offre le geste d'une femme à vif qui a au moins le mérite de ne pas se satisfaire de ce qu'elle fait.
Rosita Boisseau, Le Monde 18 juin 2005