L’invité – La Marseillaise
Tout le monde sait maintenant où se trouve le 3bisf. A Aix en Provence, au coeur de l’hopital psychiatrique Montperrin. Ambiance, soigneusement respectée. Mais la nature de ce qui s’observe là n’est plus la même. Quoique…
Depuis longtemps, le 3bisf, c’est un lieu d’arts contemporains. Une structure dirigée par Sophie Gerbeau. Un endroit où se croisent les disciplines artistiques, comme aime le voir la ville d’Aix. C’est convivial, dans la retenue. Bon enfant, poli.
Mais toujours curieux, comme les bons enfants polis : Marie Hélène Demaris y campe, une fois l’an, son festival de danse ; des plasticiens s’exposent; des écrivains donnent des ateliers; Daniel Bré ou Angela Conrad ne dédaignent pas venir y proposer leurs dernières créations dramaturgiques. Il y a même des résidences d’acceuil d’artistes.
C’est dans ce cadre que la compagnie Les gens du quai a été invitée à présenter L’invité, sa dernière création. Pour les concepteurs – ainsi se nomment Anne Lopez, François Lopez, Céline Mélissent – il s’agit de planter une esthétique relationnelle comme le plus sûr moyen de résister au formatage social. En un mot : “perturber les habitudes de la communauté”.
Sol blanc, marquages noirs. Anguleux. Indication de lieu, abstrait. Des parcours sont attendus. De quelle nature ? Cap canaveral. Compte à rebours. L’explosion se fait de plus en plus imminente. Comme la fin possible de nos rêves de progrès, de conquêtes d’un ailleurs lointain… Mais c’est la danse qui explose. Ou plutôt le corps, qui va provoquer la danse. Si proche…
Tout à rejouer
Habilement, les premiers mouvements donnent les codes. Par accumulation dérangées. Solo, duo, trio et plus encore. L’oeil, dans ces rencontres, va plus loin. Il cherche. Entre. Trouve d’autres intentions dans la répétition, la distorsion, la multiplication, l’amplification. Dans le jeu de ce qui (se)passe, entre les corps.
Un corps concret (une force féminine ?),reconnaissable sans pouvoir le nommer pour autant. Sans qu’il puisse se rattacher à un quelconque fragment du réel. Ou alors, à son imaginaire.
Si parfois des moments très “dansés” s’échappent (belles lignes, courbes, courses, enchainements…), des (im)postures viennent violement les contrarier. Les désapprouver.
Tout fonctionne comme la bande son (François Lopez) : imbrication, incrustation, dans un demi silence (il y a les corps…) de bruits qui, hors contexte (sonnerie, alarme, moteur de robot ménager), n’ont d’existence que dans leur relation avec l’amnésie dont ils sont frappés. Tout est là reconnaissable mais absent, oublié. Tout est donc à rejouer. A surjouer.
Pour les corps, c’est une commande. Un stimulus. Cela les enjoint à oublier aussi. A réagir. C’est peut-être lui le principal invité : l’oubli. A combler à chaque instant, au présent. Dans ce cadre l’improvisation prend tout son sens. Les danseuses Anne Lopez, Guyslaine Gau, Karine Trélon, portent le sens et le font passer. Circuler de la salle à la scène. Elles font sens en totale adéquation avec le sujet du départ: relationnel, humain, richesses de l’imprévu.
Si dans sa globalité, l’espace se dilue tout au long de la pièce, c’est la seule faiblesse de ce que l’on peut appeler spectacle. La structure hésite entre dévoiler et cacher : vague impression de copier/coller. Confus. Un jeu de cache cache dans lequel le regard se perd en (in)visibilité.
Mais le lieu de la danse est là, physique. Qui atteint une presque physicalité. Comme une performance, l’envie est irrépressible d’aller, debout avec les danseuses vivre ce corps perdu dans la neige d’un écran TV projetée au mur.
De la Matière. Il y a de la matière chez ces jeunes artistes là. Pour quelques années encore de quoi travailler. Ils tiennent une direction, une bonne. C’est réjouissant. A suivre.
Francis Cossu, La Marseillaise, 8 mai 99