Duel – Le Tadorne
Le touché-coulé d’Anne Lopez
Ce qu’il y a d’intéressant lorsque l’on suit le travail d’un chorégraphe, c’est de voir l’évolution de son écriture chorégraphique. Anne Lopez signe avec « Duel » une œuvre qui marque un virage, un tournant dans son parcours de chorégraphe pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il y a le corps. Délaissant les objets et autres artifices scéniques, le corps est plus que jamais présent sur le plateau. Utilisant uniquement le langage corporel, elle met en scène ses cinq interprètes dans diverses formes de duels. Elle brosse la large palette existante de combat dualistique : celui du western (premier tableau qui colle à la peau comme le soleil dans les plaines d’Arizona), de la bagarre de rue (style West Side Story) ou bien le combat chevaleresque (digne d’un Monthy Python, ce tableau mêle fantaisie et ironie). La force mystique a même sa place, mais ici, point de duel, juste l’honneur de défier l’être suprême. Le corps comme moyen de communication n’est pas écrasé par les images de ciels orageux en arrière fond, autre vecteur communiquant invitant l’imaginaire à se dresser son cadre de représentativité.
Ensuite, le message d’Anne Lopez se distille par parcimonie dans la pièce et nous montons crescendo dans la lecture de sa pièce. Mettant la question de l’honneur au centre de sa réflexion, Elle convoque toutes formes de combats qui reflètent la quête honorable des hommes d’un temps révolu : celle de l’honneur. Mais aujourd’hui, le pouvoir a pris le pas sur l’honneur et si, avant les duels se voulaient propres, aujourd’hui l’escalade de l’horreur dans tous les combats reflètent ce que la société globalisante a fait de l’homme : un être à écraser son semblable. Hichem Belhaj, l’un des cinq interprète, incarne l’honneur que chaque homme devrait encore avoir pour ne pas tomber dans la folie meurtrière. Il crève littéralement le plateau de par sa présence et répand sa danse généreusement.
Et enfin, l’écriture chorégraphique d’Anne Lopez a gagné en maturité. Tant soit peu « déjantée », c’est la marque de fabrique de la compagnie des « Gens du quai », son écriture n’en est pas moins intelligente, voire savante. Elle imbrique les tableaux les uns aux autres, les lie sans jamais se perdre et nous perdre. L’optimisme, qui naît à chacune de ses créations, se lit ici sur le corps des danseurs quittant la scène en tirant leur propre ficelle comme si eux-mêmes étaient leur marionnettiste et de nous dire : battez-vous pour votre honneur et soyez vos seuls maîtres. Une belle morale à mettre en exergue.
“Duel” fait mouche car il touche juste !
« Duel » a été joué les 17 et 18 novembre au Théâtre de l’Odéon – Nîmes.
Laurent Bourbousson – Le Tadorne – www.festivalier.net
Anne Lopez, une chorégraphe qui nous veut du bien.
Depuis 2005, Le Tadorne aime suivre certains artistes qui l’ont aidé à explorer des voies sinueuses, complexes, mais toujours respectueuses. Citons Michel Kelemenis, Christian Ubl, Gilles Jobin, Philippe Lafeuille, « La Vouivre », Robin Decourcy, Mathilde Monnier, Bouchra Ouizgen, Nacera Belaza, Christophe Haleb, Rita Cioffi, Maguy Marin…C’est une relation de confiance que nous avons avec ces artistes même si nos chemins (peu linéaires) divergent parfois. Pour la plupart, ce sont des chorégraphes comme si leur cheminement était bien plus visible que les gens de théâtre ! Il en est ainsi avec Anne Lopez où ces dernières propositions “Idiots mais rusés” et “La Menace”, ont été chroniquées sur le blog. À l’aube de son nouvel opus, “Duel”, Laurent Bourbousson (contributeur pour le Tadorne) a pris rendez-vous pour une rencontre au Centre Chorégraphique National de Montpellier où elle s’installe avec ses “Gens du Quai” (nom de sa compagnie) pour l’ultime étape de création. Compte-rendu.
12h30. Studio Bagouet. Anne Lopez, derrière la régie en salle, observe, scrute les cinq danseurs sur le plateau. Elle m’accueille chaleureusement. Elle vient de modifier deux tableaux. Tout est à refaire. Tous cherchent de nouvelles pistes. Délicat et douloureux moment de création. Si fragile, si précaire qu’il faut être vigilant pour ne pas tomber dans la facilité. Je reconnais François Lopez, Jean Philippe Derail, Hichem Belhaj, et je fais la connaissance de Gaspard Guilbert puis de Florent Hamon.
Autant briser la glace tout de suite. Je lui parle de l’accueil retissant que nous lui avons réservé pour “La Menace”. Le côté “private joke” nous avait laissés perplexes sur la proposition en tant que telle. Nous échangeons autour de ce ressenti. Le dialogue s’installe, tout naturellement.
Puis, je l’interroge sur ses projets. Qu’en est-il de “Duel”, y aura-t-il pléthore d’accessoires, l’utilisation de la vidéo comme lors de ces précédentes créations? La réponse tombe nette : « non ! ». Pour Anne Lopez, “Duel” marque le retour au corps autour d’un questionnement sur sa capacité à le questionner, à le redécouvrir, à le laisser seul en scène et l’exploiter. Un défi.
Nous échangeons sur la fragilité de créer en danse, sur les problèmes de diffusion hors région d’appartenance, sur la ténacité à être chorégraphe, sur la transmission du savoir.
Jean-Philippe Derail nous rejoint, dont le parcours entre théâtre, danse et cinéma, ouvre l’échange sur la faisabilité des projets en période de restriction budgétaire. La création est aujourd’hui un combat quotidien pour survivre en milieu hostile.
14h30 : Les corps s’échauffent, la réflexion reprend. Chercher des accords, retrouver la juste dramaturgie. Anne Lopez permet l’espace à ses danseurs. Ils essaient, tâtonnent, échangent. Elle donne des indications, des intentions. Sans brusquer, le regard contenant, elle opère comme une technicienne en ingénierie mécanique. Tout est scrupuleusement noté. Le moindre geste est écrit. Elle demande de refaire, de trouver le ton juste.
Le tableau dit “Des poutres” est ingénieux. Mêlant la danse au cinéma, les images collectives cinématographiques défilent devant nos yeux et appellent l’imaginaire. Celui du “Catch” montre la fragilité qu’imposent les figures voulues. C’est superbe à l’oeil, mais cela fait mal au corps.
Je suis dans un laboratoire où l’on recherche le geste juste. C’est particulièremet beau et touchant. Les mouvements peut assurés en début de recherche trouvent leur forme au bout d’une heure, deviennent plus fluides, s’inscrivant mieux dans la lecture du propos.
Je quitte le studio à regret laissant cette horde de mecs à leur combat. C’est promis, la prochaine création parlera de celui des femmes qui doivent être à la fois maman, working girl, l’amie, la confidente… Tout aussi cruel !
Laurent Bourbousson – Le Tadorne – www.festivalier.net